"On a l'impression qu'il y a cinq procureurs dans la salle"

La parole est désormais au prévenu. Lors de son interrogatoire, Jérôme Kerviel, dont la ligne de défense n'a pas changé depuis le début, r épète que ses écarts de résultats étaient quotidiennement rapprochés dans la base tampon et que les explications fournies aux services de contrôle et aux responsables des risques n'étaient absolument pas crédibles. Visiblement agacé, le président sort pour la première fois de sa réserve et lui demande: "si ça ne tient pas la route, alors pourquoi le faire?". "Toujours pour les apparences", lui répond Jérôme Kerviel. "Ah, ces fameuses apparences! Enfin, ce sont des apparences qui vous transforment en faussaire", lâche Dominique Pauthe. 
Ce dernier est penché sur des mails forwardés par le trader dans lesquels il a enlevé le texte et copié un autre à la place. "J'ai fait des spec dans Eliot pour flager le produit en out", lit le président. "Alors, en français, ça donne quoi?" Mis en difficulté sur ses opérations fictives, Jérôme Kerviel traverse un mauvais moment. Il a beau assurer que ses collègues Meskine et Rakotomalala faisaient des faux et que "si sa motivation était le bonus, en août 2007, il arrêtait", le président Pauthe continue: "est-ce que le propre d'un trader, ce n'est pas d'être calculateur?"
Le procureur va lui jusqu'à qualifier Jérôme Kerviel d'"escroc". Pour que la pression retombe un peu, il faut attendre l'intervention de Me Richard, avocat des petits actionnaires, qui s'amuse qu'"on a parfois l'impression qu'il y a cinq procureurs dans la salle, ce qui fait beaucoup, on en conviendra".

Une amende de 4 millions

C'est ensuite au tour de Jean-Laurent Moisson de témoigner. Cet inspecteur à la Banque de France et chef de mission à la Commission bancaire avait été mandaté au sein de la banque pour faire la lumière sur les circonstances de l'affaire Kerviel dès le 25 janvier 2008. Rappelant que les graves défaillances de contrôle interne relevées à la Société Générale lui ont valu une amende de 4 millions d'euros -une somme exceptionnelle à l'époque-, il évoque aussi des fraudes du même type décelées au premier semestre 2007. 
Me Metzner saisit l'occasion et lui fait dire que l'inspection générale de la banque avait déjà enquêté et rendu un rapport en juin 2007 sur un incident datant du premier trimestre. Or, les recommandations qui s'en sont suivies n'ont pas été appliquées. "De cette façon là, Kerviel a permis à la banque de faire des progrès", conclut Jean-Laurent Moisson, qui va ensuite s'asseoir auprès de la dessinatrice et s'amuse de ses dessins. Le deuxième témoin, également envoyé par la Commission bancaire à la tour de la Défense, subit pour sa part un interrogatoire express d'à peine quelques minutes, avant que n'entre le troisième témoin, le plus attendu, Alain Declerck.

Qu'est-ce qu'un "echupo" ?

Le responsable du desk de Jérôme Kerviel jusqu'en janvier 2007 est le seul à permettre enfin au profane d'imaginer le quotidien d'un trader. L'homme de 34 ans revient longuement sur l'épisode Allianz de juillet 2005, lors duquel il s'est rendu compte que Jérôme Kerviel avait dépassé les limites autorisées. Une histoire qui s'est soldée par une simple remontrance. Le président s'en étonne: "donc, il n'y a eu aucune sanction? C'est gentil..." Puis la salle est secouée d'un grand éclat de rire. Dominique Pauthe vient de réaliser qu'Alain Declerck ne sait pas ce qu'est un "echupo", contrepartie dont on sait qu'elle ne pourra pas être débouclée. "Vous n'en avez jamais entendu parler? Votre formation est à revoir !"
L'audience touche à sa fin vers 20 heures, après que Me Richard a réitéré sa demande d'auditionner Daniel Bouton. Une requête à laquelle le tribunal accède jeudi matin. L'ancien patron de la Société Générale sera donc entendu mardi prochain à 16 heures.

 

par Flore de Bodman, journaliste à Challenges.fr, mercredi 16 juin 2010.